Peut-on vraiment dire que le dauphin possède un langage semblable au langage humain ?

 

Suite aux études qui ont été menées sur des dauphins en captivité, mais aussi sur des dauphins en liberté, et suite notamment aux découvertes récentes sur leur système complexe et sophistiqué de vocalisations, son fonctionnement, sa structure, on a pu se demander si oui ou non, ces cétacés remarquablement intelligents possédaient un langage au sens humain du terme, si l’on définit le langage comme étant cette capacité à émettre des sons vocalisés en chaînes porteuses de sens, articulés selon une grammaire propre.

 

 Nous savons certes que les dauphins communiquent entre eux, qu’ils se lancent des appels, des avertissements, échangent des sifflements.

Il s’agit là de signaux de communication très différents des émissions sonars ou des trains d’ondes qui leur permettent de situer un objet ou un obstacle. On ne peut nier que, grâce à ces signaux sonores, les dauphins communiquent entre eux. Mais bien d’autres animaux le font (oiseaux, insectes, poissons….quant aux abeilles, on sait par les travaux de von Frish qu’elles disposent  d’un véritable langage dansé. Celle qui a découvert une source riche de pollen est en mesure d’expliquer à ses congénères à quelle distance celle-ci se trouve, dans quelle direction et quelle est son abondance).

Chez le dauphin, à quoi correspondent ces sons dont on dit qu’ils sont des « signaux de communication ou de relation » ? Les dauphins « parlent »-t-ils entre eux ? Ont-ils un langage ? La question reste bien évidemment controversée.

-          Leur « vocabulaire ».

Avant de savoir si ces signaux signifient quelque chose, on peut tenter de les distinguer et de les dénombrer.

Dans la nature, il a été impossible en général de mesurer l’étendue de ce « vocabulaire ». On a cru pouvoir détecter un large éventail de signaux sonores, ensuite étudiés, analysés : on aurait ainsi dénombré 2000 émissions différentes. Le « vocabulaire » des dauphins pourrait donc comporter 2000….signes, signaux, ou 2000 mots (?). (Pour rendre compte de l’étendue de ce « lexique », on peut comparer avec Racine, qui aurait composé toutes ces tragédies avec un vocabulaire qui n’était pas plus étendu ).

Cependant, ces signaux ne sont pas toujours les mêmes pour une même espèce. Et il est probable que certains ne signifient rien tandis que ceux qui ont un sens précis paraissent peu nombreux. Ce sont de plus presque toujours les mêmes motifs qui reviennent. Nous sommes même loin de pouvoir affirmer que les mêmes signaux correspondent aux mêmes situations. Les animaux les plus couramment étudiés ( en captivité par conséquent) ont un vocabulaire beaucoup plus pauvre que l’on n’a pu le croire au début. Certains cris qu’ils émettent lors des spectacles seraient des cris qu’on leur aurait appris et qui pourraient très bien n’avoir aucun sens pour eux…

Certains chercheurs, les Caldwell, sont allés jusqu’à dire que chaque individu avait un signal propre, cri personnel, peut-être perceptible et même reconnaissable, mais intraduisible et intransmissible.

De plus, on a rapidement tendance à traduire en langage « humain » un signal de détresse par exemple, mais il faudrait déjà admettre que ces traductions puissent correspondre à un comportement animal.

Il est cependant possible que dans la nature, les dauphins soient capables d’exprimer bien des choses qui nous échappent. Comme le dit le professeur Busnel, « dans l’état actuel de nos connaissances, il faut avouer que nous ne savons rien de la sémantique des sons émis par les dauphins ».

-          Un langage ?

Selon le professeur Busnel, on ne peut pas parler de langage delphinidé au sens où les linguistes l’entendent. L’échange d’informations entre dauphins correspond à des signaux acoustiques de relation. Ces signaux existent – on en est scientifiquement sûr – mais le langage est bien autre chose. Il se compose d’éléments qu’on ne peut pas réduire et qui sont assemblés entre eux selon des règles propres à chaque langage. Les combinaison forment des mots puis des phrases. Le langage n’est pas seulement constitué par un grand nombre de signaux. Il réside dans la faculté de les assembler selon un système qui engendre des combinaisons à peu près illimitées. C’est la syntaxe.

Or quand deux dauphins se « parlent », il s’agit toujours d’un signal unique, affirme-t-il, ou de signaux successifs sans liens entre eux. C’est ce que les spécialistes appellent un « pseudo-langage », ou « protolangage » ou encore « langage à syntaxe zéro » . Cela ne veut pas dire que ces animaux ne peuvent pas un jour se dépasser, mais à ce jour, nous n’avons ni la preuve qu’ils parlent, ni qu’ils en sont capables.

En outre, le langage exprime des notions abstraites : notamment le présent, le passé, le futur. C’est ce qui caractérise le langage humain. Ainsi que la capacité d’étendre le vocabulaire à infini, comme dit ci-dessus. Et il n’y a encore aucune preuve expérimentale que les dauphins soient capables en liberté de se forger un vocabulaire et qu’ils soient en mesure d’augmenter leurs capacités d’expression.

Le langage tient pour une bonne part à la culture, aux modes de vie, à l’environnement. Rien ne dit que des dauphins mêlés aux hommes n’arriveront pas à apprendre en captivité d’autres modes d’expression et peut-être une forme approchée de langage. Le langage, c’est quelque chose qui s’apprend, et qui nécessite d’ailleurs un temps certain d’apprentissage. Un enfant ne parle guère avant deux ans. Il lui faut l’étroite communion avec la mère et son monologue affectueux. C’est d’ailleurs ce que faisait Jean Asbury avec Dolly ( cette femelle s’était prise d’affection pour cette famille d’Américains ; elle faisait en fait partie d’une section de  l’US Navy).Les « enfants-loups » ne peuvent quant à eux plus parler au-delà d’un certain âge.

L’Américain J.C Lilly, qui a rencontré une très forte opposition dans le milieu scientifique,  prétendait apprendre à parler aux dauphins et affirmait que ceux-ci étaient capables d’imiter la voix humaine et d’apprendre des mots désignant des objets. Depuis, de nombreuses expériences en laboratoire ont effectivement prouvé que les dauphins étaient capables d’émettre des sons « aériens » que certains ont assimilés à des imitations de la voix humaine. Lilly avait réussi à enregistrer un dauphin imitant le rire de sa secrétaire ( ce fait ne s’est encore jamais reproduit) .Mais faute de corde vocale, les sons qu’ils émettent sont plus proches des sifflements que de quelconques mots en anglais que Lilly pensait effectivement entendre…

Le fait que les dauphins apprivoisés obéissent à la voix, ou soient capables d’apporter la balle lorsque l’on prononce le mot n’a rien d’exceptionnel. On peut y voir les conséquences d’un dressage à la voix, comme les chiens en font preuve par exemple. L’animal apprend des signaux sonores qui sont symboles d’objets, puis qui deviennent symboles d’action. De plus, il apparaît que finalement, dans ces cas, le dauphin utilisait vraisemblablement plus les gestes du dresseur que sa voix.

Cependant, cet insuccès n’entraîne pas pour autant l’impossibilité d’un  « dialogue » entre l’homme et l’animal. En effet, les communications actuelles entre dauphins et humains sont limitées, alors que le propre du langage est d’être « indéterminé », une opération « ouverte » au cours de laquelle celui qui parle combine en toute liberté et dans un ordre imprévisible les signaux à disposition. C’est la « combinatoire ».

Toute la question est de savoir si le dauphin sera un jour capable de dialoguer.

 

-          les langues sifflées.

Les sifflements des dauphins sont des modulations de fréquence. Or, il existe des langues humaines sifflées qui utilisent le même type de modulations, en usage encore dans divers points du monde (en

Turquie, en France dans la vallée d’Ossau, au Mexique, dans les îles Canaries …). Ces sifflements sont utilisés dans des régions où la voix risque de se perdre dans le vent ou ne pas atteindre l’interlocuteur à cause des obstacles topographiques.

Or, il existe une analogie remarquable entre les sonagrammes des langues sifflées et ceux des sifflements sous-marins des dauphins qui présentent les mêmes types de modulation tout en ayant  des modalités beaucoup plus limitées et qui se situent dans une bande de fréquence nettement plus élevée.

L’analogie des structures physiques permettait alors l’hypothèse que les sifflements des dauphins pouvaient être théoriquement utilisés comme éléments phonétiques d’un vrai langage. Dans la mesure où les modulations qu’ils émettent présentent des variables qui n’ont pas encore été toutes recensées, on peut penser qu’elles constituent un système de communication acoustique analogue à celui de beaucoup d’autres espèces animales. Mais déjà à ce niveau de vocabulaire dont l’étendue n’est aps encore connue, il faudrait , comme dit Busnel, «  la pierre de Rosette » qui permettrait de déchiffrer les sifflements des dauphins, en supposant bien sûr qu’on connaisse le « signifié » de chaque signal, c’est-à-dire sa sémantique, ce qui n’est pas le cas …

Cependant, les langues sifflées humaines sont bel et bien le support d’un langage aussi perfectionné qu’un langage vocalique. L’idée de base, selon Busnel, était que si l’on devait apprendre un langage aux dauphins, une langue sifflée serait plus facilement perçue et analysée par le dauphin qu’une langue vocalique articulée, comme le faisait Lilly.

Ces langues représenteraient donc un « squelette de langage » qui pourrait être le véhicule de communications avec le dauphin. A condition que les dauphins aient quelque chose à exprimer… !

Là se situe le véritable problème !

Néanmoins, ce processus ne fut pas inutile. Il était nécessaire de traduire en langage sifflé la langue vocalique de l’expérimentateur pour tenter un apprentissage linguistique de ces animaux. Ainsi, on pouvait leur transmettre et leur enseigner des signaux qui ne nécessitaient pas l’usage de cordes vocales, et s’adaptaient donc mieux évidemment à leur propre registre acoustique.

Un acousticien américain, W. Batteau, fit construire un appareil électronique capable de transformer la voix humaine en voix sifflée. Les premiers mois de travail furent concluants : les dauphins assimilaient bien le langage sifflé, et étaient capables d’apprendre, de mémoriser et de répéter 26 messages différents. Mais alors que l’étape de l’association à l’objet devait être franchie, la mort du chercheur interrompit malheureusement toutes les expériences.

Les recherches continuent toujours, mais il semble que les études sont faussées par les conditions dans lesquelles elles se déroulent, ce qui « corse » la difficulté de la tâche. Premièrement, on utilise toujours le Tursiops car en captivité, il se montre plus docile et robuste. Mais il n’est pas forcément le plus intelligent : la faculté d’apprendre, d’imiter qu’il possède à un haut degré n’est pas forcément indice d’intelligence, et semble plus compliquer les recherches que les favoriser. Enfin, ces études sont majoritairement menées en captivité, qui reste toujours un traumatisme pour le dauphin, très sensible et perturbé par les traitements appliqués auxquels ils n’ont pas été préparés ( ce sont souvent des dauphins adultes).

 

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